LES FILLES
Depuis un mois à peu près, mes apparitions au bureau ont été pour le moins sporadiques. Tout ce que je souhaite à présent, dirait-on, c’est m’entraîner au gymnase, avec les poids, essentiellement, et effectuer des réservations dans de nouveaux restaurants où je suis déjà allé, pour ensuite les annuler. Mon appartement pue les fruits pourris, mais en réalité, c’est l’odeur de ce que j’ai retiré de la tête de Christie pour le verser dans une coupe de verre Marco, que j’ai posée sur une console, dans l’entrée. La tête elle-même est restée sous le piano, dans un coin du salon, couverte de bouillie de cerveau. J’ai l’intention de l’utiliser comme citrouille, pour Halloween. À cause de la puanteur, j’ai décidé de prendre l’appartement de Paul Owen pour un rendez-vous galant, ce soir. J’ai fait examiner les lieux, pour déceler un éventuel système de surveillance ; hélas il n’y en avait pas. Mon avocat m’a présenté quelqu’un qui m’a dit que Donald Kimball, le détective privé, a appris que Paul Owen était effectivement à Londres, qu’on l’avait aperçu deux fois dans le hall du Claridge, une fois chez un tailleur de Savile Row, et une fois dans un nouveau restaurant à la mode, à Chelsea. Kimball s’est envolé pour Londres il y a deux jours, ce qui signifie que personne ne surveille plus l’appartement, et les clés que j’ai volées à Owen sont toujours les bonnes, ce qui m’a permis d’y déposer mon matériel (une perceuse électrique, une bouteille d’acide, le pistolet à clous, des couteaux, un briquet Bic), après déjeuner. J’ai loué les services de deux escortes dans une agence de bonne réputation, encore qu’assez sordide, à laquelle je n’avais encore jamais fait appel, faisant passer la facture sur la carte American Express gold de Owen sur laquelle, je suppose, personne n’a fait opposition, puisqu’on le croit à Londres, bien qu’en revanche son AmEx platine soit surveillée. Ce matin, le thème du Patty Winters Show était : ‘‘Les Trucs de Beauté de Lady Di’’, ce que j’ai trouvé assez ironique.
Minuit. Je fais la conversation à deux nanas, toutes deux très jeunes, blondes, gros nénés, des petits trésors, conversation brève car j’ai de sérieuses difficultés à me contenir, dans l’état de confusion où je suis.
— Vous vivez dans un palais, Monsieur, déclare l’une d’elles, Torri, d’une voix de bébé, impressionnée par l’appartement ridicule d’Owen. Un véritable palais.
Je lui jette un regard dur, contrarié. « Ça n’est pas si bien que ça. »
Tout en préparant des verres, devant le bar bien approvisionné, je leur annonce que je travaille à Wall Street, chez Pierce & Pierce. Aucune ne semble particulièrement intéressée. De nouveau, j’entends une voix — une des leurs — me demander si ce n’est pas un magasin de chaussures. Tiffany feuillette le GQ d’il y a trois mois, assise sur le canapé de cuir noir, sous le panneau de faux cuir de vache. Elle a l’air perplexe, comme si elle ne comprenait pas quelque chose, ni même quoi que ce soit. Fais ta prière, salope, me dis-je. Il me faut bien le reconnaître, c’est extrêmement excitant de pousser ces filles à s’avilir sous mes yeux, pour ce qui n’est guère pour moi que de l’argent de poche. Après leur avoir servi un autre verre, je leur signale également que je suis allé à Harvard, avant de demander après un silence : Vous en avez entendu parler ?
— J’ai eu une relation professionnelle qui était allée là-bas, répond Torri, ce qui me cause un choc. Elle hausse les épaules, niaisement.
— Un client ? fais-je, intrigué.
— Eh bien... commence-t-elle, mal à l’aise. Une relation d’affaires, disons.
— Un souteneur ? fais-je, et là, ça dégénère bizarrement.
— Eh bien... — elle cale de nouveau, avant de poursuivre — disons que c’était une relation d’affaires. Elle prend une gorgée. « Il disait qu’il était allé à Harvard, mais... je ne le croyais pas. » Elle jette un regard à Tiffany, puis à moi. Notre silence l’encourage à poursuivre, et elle reprend d’une voix hésitante : « Il avait un... enfin, un singe, quoi. Et je devais garder le singe… dans son appartement. » Elle s’interrompt, puis reprend d’une voix monocorde, avalant sa salive : « Mon idée, c’était de passer la journée devant la télé, parce qu’il n’y avait rien d’autre à faire, pendant que le type était absent... à part surveiller vaguement le singe. Mais il y avait... il y avait un problème avec le singe. » Elle s’interrompt de nouveau, prend une profonde inspiration. « Il ne voulait regarder que... » De nouveau, elle s’arrête, parcourt la pièce des yeux, le visage déformé par une grimace d’incertitude, ne sachant si elle doit nous raconter cette histoire, si nous, moi et l’autre salope, pouvons être mis au courant. Je croise les bras, prêt à entendre quelque chose de choquant, de significatif, de révélateur. « Il ne voulait regarder que... » Elle soupire, et lâche le morceau, d’une voix précipitée : « Le Oprah Winfrey Show, c’est la seule chose qu’il voulait regarder. Le type en avait des dizaines de cassettes, qu’il avait faites uniquement pour son singe, en enlevant les publicités. (Elle me regarde d’un air implorant, comme si elle était en train de devenir folle, ici même, à l’instant, dans l’appartement de Paul Owen, et voulait que je... quoi, que j’aille vérifier ?). Une fois, j’ai essayé de... de changer de chaîne, d’arrêter une des cassettes... pour voir si je ne préférais pas regarder un feuilleton, je ne sais pas, mais... » Elle finit son verre, et reprend courageusement, roulant des yeux, visiblement très secouée par cette histoire : « Le singe s’est mis à p-p-pousser des cris vers moi, et il ne s’est calmé que quand j’ai remis Oprah. » Elle avale sa salive, s’éclaircit la gorge, semble prête à fondre en larmes, mais non, en fait. « Et je vous jure, si vous essayiez de changer de chaîne, cette s-s-saleté de singe essayait de vous griffer », conclut-elle d’un ton âpre, serrant les bras autour d’elle, tremblante, tentant en vain de se réchauffer.
Le silence. Un silence arctique, glacial, indicible. Au-dessus de nos têtes, la lumière est froide, électrique. Immobile, je regarde Torri, puis l’autre, Tiffany, qui semble au bord de la nausée.
J’ouvre enfin la bouche et déclare, butant sur les mots : « Ça m’est égal... si vous avez une vie... convenable... ou pas. »
Enfin, le sexe — un montage de film porno. J’ai rasé le sexe de Torri, allongée sur le dos, sur le lit japonais de Paul, jambes écartées, et je la doigte, la suce, lui léchant le cul de temps à autre. Ensuite, Tiffany me suce — elle ne cesse de me donner sur le gland de petits coups de sa langue brûlante et mouillée, ce qui m’exaspère — tandis que je la traite de salope et de pute pourrie. Tout en en baisant une avec un préservatif, tandis que l’autre s’emploie à me sucer les couilles, les lapant comme un chien, je contemple la peinture sur soie d’Angelis accrochée au-dessus du lit, imaginant des flaques, des geysers de sang. La pièce est parfois très silencieuse, à part le bruit mouillé que fait ma queue en entrant et sortant du vagin d’une des filles. Tiffany et moi bouffons à tour de rôle le con glabre de Torri, et son trou du cul. Elles jouissent toutes deux, criant en même temps, en soixante-neuf. Une fois leurs cons assez trempés, je sors un godemiché et les laisse s’amuser avec. Torri écarte les jambes et se doigte le clito, tandis que Tiffany la baise avec le godemiché énorme et lubrifié, pressant Tiffany de la baiser plus fort, et jouit enfin, le souffle court.
De nouveau, je les fais se bouffer, mais cela commence à moins m’exciter — je ne peux penser à rien d’autre qu’au sang, à leur sang, imaginant de quoi il aura l’air et, bien que Torri soit certes experte, et sache comment bouffer de la chatte, cela ne suffit pas à m’apaiser et, l’écartant du con de Tiffany, je me mets à lécher et mordiller la chair rose, douce et mouillée de son vagin, tandis que Torri écarte le cul et s’assoit sur le visage de Tiffany, tout en se doigtant le clito. Tiffany lèche avec avidité la chatte humide et luisante, et Torri se penche pour serrer dans ses mains les seins de Tiffany, lourds et fermes. Je mords à belles dents, je mâchonne le con de Tiffany qui commence à se raidir. « Détends-toi », dis-je d’une voix apaisante. Elle se met à piailler, essayant de me repousser, et finit par crier vraiment, tandis que mes dents lui déchirent la chair. Croyant qu’elle jouit, Torri presse son con plus fort contre la bouche de Tiffany, étouffant ses hurlements, mais quand je relève la tête vers elle, le visage couvert de sang, des morceaux de vagin et des poils collés aux lèvres, tandis que le sang gicle par saccades du con déchiré de Tiffany sur le coussin, je la sens soudain saisie d’horreur. J’attrape la bombe asphyxiante pour les aveugler momentanément, puis les assomme avec la crosse du pistolet à clous.
Torri se réveille attachée, cambrée sur le dos au bord du lit, et le visage couvert de sang — car je lui ai découpé les lèvres avec des ciseaux à ongles. Tiffany, elle, est attachée de l’autre côté du lit, à l’aide de six paires de bretelles appartenant à Paul, gémissant de peur, totalement paralysée par la monstruosité de ce qui lui arrive. Souhaitant qu’elle regarde ce que je vais faire à Torri, je l’ai installée de manière à ce qu’elle ne puisse éviter de le voir. Comme à l’habitude, et dans l’espoir de comprendre ce que sont ces filles, je filme leur mort. Pour Torri et Tiffany, j’utilise une caméra ultraminiaturisée Minox LX à pellicule de 9,5 mm, lentille 15 mm f / 3.5, réglage d’exposition et filtre de densité incorporé, posée sur un trépied. J’ai mis un CD de Traveling Wilburys dans un lecteur de CD portable posé sur la tête de lit, afin d’étouffer des cris éventuels.
Je commence à dépiauter Torri, un petit peu, lui faisant des incisions avec un couteau à viande, découpant des morceaux de chair de son ventre et de ses jambes, tandis qu’elle crie vainement, me suppliant de l’épargner, d’une voix aiguë, fragile. J’espère qu’elle se rend bien compte que son châtiment se révélera relativement bénin, comparé à celui que j’ai prévu pour l’autre. Je continue de l’arroser de gaz. Ensuite, j’essaie de lui découper les doigts à l’aide des ciseaux à ongles, et finis par verser de l’acide sur son ventre et son vagin, mais rien de tout cela ne semble l’achever le moins du monde, et je dois me résoudre à la poignarder à la gorge. La lame du couteau finit par se casser dans ce qui reste de son cou, fichée dans un os, et j’arrête. Sous le regard de Tiffany, je prends la scie et lui tronçonne entièrement la tête — un torrent de sang éclabousse les murs, et même le plafond — puis, élevant la tête, comme un trophée, je prends ma queue, rouge et congestionnée, et abaissant la tête de Torri jusqu’à mon bassin, je la fourre dans sa bouche ensanglantée et me mets à la baiser, jouissant bientôt, explosant à l’intérieur. Après quoi, je suis si raide encore que je me permets de défiler dans la chambre maculée de sang, la tête fichée sur ma queue, chaude et légère. Ceci m’amuse un certain temps, mais j’ai besoin de repos, et j’ôte la tête, la posant sur la commode en chêne et teck de Paul, et m’installe dans un fauteuil, nu et couvert de sang, pour regarder HBO sur la télé d’Owen tout en buvant une Corona, me demandant à haute voix, contrarié, pourquoi Owen n’est pas branché sur Cinemax.
Plus tard. « Je vais te détacher, Ccchhh... » dis-je à Tiffany, tout en caressant doucement son visage satiné de larmes et de gaz asphyxiant, et je m’embrase en la voyant lever vers moi un regard plein d’espoir, un instant, avant d’apercevoir l’allumette enflammée que je tiens à la main, et que j’ai détachée d’une pochette récupérée au Palio’s, où je prenais un verre avec Robert Farrell et Robert Pretcher, vendredi dernier, allumette que j’abaisse vers ses yeux, qu’elle ferme instinctivement, pour lui flamber les cils et les sourcils, avant de prendre un briquet Bic que j’allume sous ses paupières que je maintiens ouvertes d’une main, me brûlant le pouce et le petit doigt au passage, jusqu’à ce que ses yeux explosent. Pendant qu’elle est encore consciente, je la retourne et, lui écartant les fesses, je lui plante dans le rectum un godemiché attaché à une planche, à l’aide du pistolet à clous. Puis, la retournant de nouveau, inerte de terreur, je coupe toute la chair autour de sa bouche et, saisissant la perceuse électrique, avec une mèche abrasive de gros calibre, j’agrandis le trou, tandis qu’elle gigote et proteste et, une fois satisfait de la dimension du trou pratiqué dans sa bouche largement ouverte, qui n’est plus qu’un tunnel rouge sombre de langue tordue et de dents arrachées, j’y plonge la main, profondément, jusqu’au poignet, me forçant un passage vers la gorge — durant tout ce temps, elle ne cesse de secouer furieusement la tête, mais ne peut me mordre, puisque la perceuse électrique lui a arraché les dents des gencives — et, saisissant les veines qui passent là comme des tubes, je les détache doucement avec mes doigts et, une fois la prise bien assurée, les arrache brutalement et les sors par sa bouche béante, tirant, tirant encore, jusqu’à ce que le cou lui même se rétracte et disparaisse, la peau tendue, déchirée. Cependant, il y a peu de sang. Presque tout l’intérieur de son cou, y compris la veine jugulaire, pend au-dehors par sa bouche ouverte. Tout son corps se met à se contracter par saccades, comme un cafard sur le dos, avec des mouvements convulsifs, ses yeux fondus dégoulinant sur ses joues, mêlés aux larmes et au gaz asphyxiant et, très vite, ne souhaitant pas perdre de temps, j’éteins les lumières et, dans le noir, avant qu’elle ne meure, lui ouvre le ventre, à mains nues. Je ne vois pas ce que je fais, mais j’entends des claquements humides, et mes mains sont brûlantes, couvertes de quelque chose.
Ensuite. Ni peur, ni trouble. Pas le temps de traîner, car j’ai des choses à faire aujourd’hui : rapporter des cassettes vidéo, m’entraîner au gymnase, emmener Jeanette voir une nouvelle comédie musicale anglaise à Broadway, comme je le lui ai promis, réserver pour dîner quelque part. Ce qui reste des deux corps est bientôt en état de rigor mortis. Un bout du corps de Tiffany — je crois, car j’ai de sérieuses difficultés à les distinguer l’une de l’autre — s’est affaissé, et les côtes pointent, la plupart cassées en deux, de ce qui reste de son estomac, perforant les seins. Il y a une tête clouée au mur, des doigts éparpillés, ou disposés plus ou moins en cercle autour du lecteur de CD. Un des corps, celui qui est par terre, est couvert d’excréments et de marques de dents, là où je l’ai mordu sauvagement. Je plonge une main dans le ventre d’un des cadavres et, d’un doigt ensanglanté, griffonne JE SUIS RENTRÉ, en lettres dégoulinantes, au-dessus du panneau de faux cuir de vache, dans le salon, ajoutant au-dessus un dessin effrayant qui ressemble à ceci :
LE RAT
À la mi-octobre, on me livre les articles suivants :
Un récepteur audio, le Pioneer VSX-9300S, comprenant le processeur Dolby Prologic Surround Sound intégré à programmation digitale, et une télécommande multifonctions à infrarouges qui peut gérer jusqu’à 154 fonctions programmées sur tout autre appareil de la marque, et développant 125 watts sur le haut-parleur frontal, et 30 watts à l’arrière.
Un lecteur analogique de cassettes Akai, le GX-950B, avec polarisation manuelle, contrôle du niveau d’enregistrement Dolby, réglage de tonalité intégré et système de recherche et effacement qui permet de repérer le début et la fin d’un passage musical précis, qui peut alors être effacé d’une simple pression sur une touche. La triple tête de lecture est incluse dans un circuit cassette indépendant, ce qui réduit les parasites au minimum, et le système de réduction du bruit est assisté d’un Dolby HX-Pro, tandis que les commandes du panneau frontal sont gérées par une télécommande sans fil multifonctions.
Un lecteur CD multistandard Sony, le MDP-700, qui lit à la fois les disques audio et vidéo – tous formats, depuis le CD digital de 8 cm, jusqu’au CD vidéo de 30 cm. Il comprend un laser visuel / audio à cadre fixe multi-vitesse, à quadruple lecture et double entraînement qui permet d’assurer une rotation régulière du disque, tandis que le système de protection diminue les risques de gauchissement. Le système de détection automatique permet d’effectuer jusqu’à quatre-vingt-dix-neuf présélections musicales, et la recherche automatique de passages peut sélectionner jusqu’à soixante-dix-neuf extraits d’un disque vidéo. Il est livré avec une télécommande à dix touches comprenant un système d’aller et retour (ceci pour la recherche des images) et une touche mémoire. Il comprend également deux paires de prises jack en plaqué or, qui assurent une connexion de qualité optimale.
Un lecteur de cassettes haute performance, le DX-5000 NEC, qui associe les effets spéciaux digitaux à une excellente qualité de hi-fi, ainsi qu’un lecteur VHS-HQ à quadruple tête, doté d’un système de programmation de huit séquences sur vingt et un jours, un décodeur MTS et 140 canaux pré-équipés. De surcroît, la télécommande cinquante fonctions me permet d’éliminer les publicités télévisées.
Le camescope Sony CCD-V200 8 mm comprend un effaceur sept couleurs, un marqueur de lettres, une fonction édition autorisant également l’enregistrement image par image, ce qui me permet de filmer, disons, un cadavre en décomposition à intervalles de quinze secondes, ou les dernières convulsions d’un petit chien empoisonné. La partie audio est dotée d’un système digital intégré d’enregistrement / playback, tandis que le zoom a une luminosité minimum de quatre lux, et six vitesses d’obturation variables.
Un nouveau récepteur de télévision à écran de soixante-dix centimètres, le CX-2788 Toshiba, comprenant un décodeur MTS intégré, un filtre CCD, une recherche de chaîne programmable, une prise super-VHS, sept watts par canal de puissance, plus dix watts supplémentaires, destinés à alimenter un subwoofer, pour une meilleure sonorité des basses, et un système Carver Sonic Holographing qui génère un son 3— D absolument unique.
Le lecteur CD Pioneer LD-ST à télécommande et le lecteur multistandard Sony MDP-700 à effets digitaux et programmation universelle à télécommande (l’un pour ma chambre, l’autre pour le salon), qui lisent tous les formats de disques audio et vidéo — 8 cm et 30 cm laser, CD vidéo 12,75 cm et compacts 7,65 cm et 12,75 cm — grâce à deux lecteurs auto-chargeables. Le LD-W1 de Pioneer lit deux disques de taille normale à la suite, avec un blanc de quelques secondes à peine à chaque changement de face, ce qui évite de changer ou de retourner le disque. Il possède également un son digital, une télécommande sans fil et une mémoire programmable. Le lecteur multistandard Yamaha CDV-1600 lit les disques de tous formats et possède une mémoire de lecture aléatoire de quinze plages, ainsi qu’une télécommande sans fil.
On me livre aussi une paire de baffles monobloc Threshold, dont le prix avoisine les 15 000 $. Et pour la chambre, arrive lundi un placard de chêne décapé destiné à ranger une des nouvelles télés. Un canapé sur mesure, recouvert de coton, encadré de bronzes italiens du dix-huitième siècle et de bustes de marbre sur des socles de bois peints par un artiste contemporain arrive mardi. Mardi aussi, une nouvelle tête de lit, en coton blanc clouté de cuivre clair. Une nouvelle gravure de Frank Stella, destinée à la salle de bains, arrive mercredi, ainsi qu’un nouveau fauteuil Superdeluxe en daim noir. Le Onica, que je vends, sera remplacé par un autre : le portrait, immense, d’un équalizer graphique, chrome et pastel.
Je suis en train de parler de télévision haute définition (laquelle n’est pas encore sur le marché) avec les livreurs de la Park Avenue Sound Shop, quand un des nouveaux téléphones sans fil noirs AT&T se met à sonner. Je leur donne un pourboire, et décroche. C’est Ronald, mon avocat. J’écoute, hochant la tête, tout en reconduisant les livreurs. « L’addition est de trois cents dollars, Ronald. Nous n’avons pris que du café », dis-je. Long silence durant lequel j’entends soudain une espèce de clapotement étrange, en provenance de la salle de bains. Je me dirige vers la porte avec précaution, le téléphone toujours à la main, disant à Ronald : « Mais oui... Attends... Mais je suis... Mais nous n’avons pris qu’un espresso. » Je jette un coup d’œil dans la salle de bains.
Je vois un gros rat mouillé, perché sur le siège des toilettes — dont il sort, je suppose. Il est assis sur le bord de la cuvette, et se secoue pour se sécher avant de sauter sur le sol, avec hésitation. C’est une belle bête. Il titube, puis se met à cavaler sur le carrelage, et s’enfuit par l’autre porte de la salle de bains qui donne dans la cuisine, où je le suis, en direction de l’emballage vide de pizza du Madri qui, pour je ne sais quelle raison, est resté par terre, sur le New York Times d’hier, à côté de la poubelle de chez Zona, et le rat, par l’odeur alléché, prend l’emballage dans sa gueule et se met à le secouer furieusement, comme un chien, essayant d’atteindre la pizza aux poireaux, fromage de chèvre et truffes, en poussant des piaillements de faim. J’ai pris pas mal d’Halcion, et la présence du rat ne me perturbe pas autant qu’elle le devrait, je suppose.
Pour attraper le rat, j’achète une tapette à souris géante, dans une quincaillerie d’Amsterdam Street. Je décide aussi de passer la nuit dans la suite familiale du Carlyle. Tout ce que j’ai comme fromage à la maison, c’est une part de brie, au réfrigérateur, et avant de partir, je l’installe délicatement, tout entière — c’est vraiment un gros rat, — ainsi qu’une tomate séchée au soleil assaisonnée de sel de céleri, sur le piège, que j’arme. Mais quand je reviens, le lendemain matin, le rat n’est pas mort, à cause de sa taille. Il est là, coincé, piaillant, fouettant l’air de sa queue, qui est affreuse, graisseuse, d’un rose translucide, aussi longue qu’un crayon et deux fois plus grosse, et fait un bruit mouillé à chaque fois qu’elle frappe le parquet de chêne clair. À l’aide d’une pelle à poussière — que je mets plus d’une heure à trouver, nom de Dieu —, je coince le rat blessé, à l’instant où il se libérait du piège, puis cueille l’animal qui, pris de panique, se met à piailler plus fort encore, me sifflant au visage, découvrant ses canines jaunes et acérées, ses canines de rat, et le laisse tomber dans un carton à chapeaux de chez Bergdorf Goodman. Mais la bête réussit à escalader la paroi, et je suis contraint de le poser dans l’évier, recouvert d’une planche chargée de livres de cuisine jamais ouverts, et même ainsi il manque de s’échapper tandis que, assis dans la cuisine, j’imagine les façons de torturer des filles avec lui (évidemment, il m’en vient des tas à l’esprit), dressant mentalement une liste qui comprend, outre la participation du rat, le découpage-vidage des seins, ainsi que le fil de fer barbelé bien serré autour de la tête.
UN AUTRE SOIR
Ce soir, McDermott et moi devons dîner au 1500. Il m’appelle vers six heures et demie, soit quarante minutes avant l’heure pour laquelle nous avons réservé (il n’y avait pas d’autre possibilité, à part six heures dix ou neuf heures, qui est l’heure de fermeture du restaurant — car on y sert de la cuisine californienne, et les horaires, par pur snobisme, sont eux aussi californiens) et bien que je sois en pleine séance de fil dentaire, j’ai pris soin de poser tous mes téléphones sans fil à côté du lavabo, et je décroche le bon à la deuxième sonnerie. Jusqu’à preuve du contraire, je porte un pantalon noir Armani, une chemise blanche Armani, et une cravate rouge et noir, Armani. McDermott m’apprend que Hamlin veut se joindre à nous. J’ai faim. Un silence au bout de la ligne.
— Et alors ? fais-je, resserrant ma cravate. Pas de problème.
— Et alors ? soupire McDermott. Hamlin ne veut pas aller au 1500.
— Pourquoi pas ? Je ferme le robinet du lavabo.
— Parce qu’il y est allé hier.
— Bien... Qu’est-ce que tu essaies de me dire, McDermott ?
— Que nous allons ailleurs.
— Où ? fais-je, circonspect.
— Hamlin a suggéré le Alex Goes to Camp, dit-il.
— Ne quitte pas. J’en suis au Plax. Après m’être longuement rincé la bouche avec la solution antiplaque dentaire, tout en inspectant l’implantation de mes cheveux dans le miroir, je recrache le Plax. « Opposition, Votre Honneur. Moi, j’y suis allé hier soir.
— Mais je sais. Moi aussi, dit McDermott. En plus, c’est minable. Alors, qu’est-ce qu’on fait ?
— Est-ce que Hamlin n’a pas ses entrées dans un putain de restaurant ? fais-je d’une voix grondante, contrarié.
— Euh, non.
— Rappelle-le, et qu’il en trouve un, dis-je en sortant de la salle de bains. J’ai l’impression que j’ai paumé mon Zagat.
— Tu restes en ligne, ou je te rappelle ?
— Tu me rappelles, Dugland. Nous raccrochons.
Quelques minutes. Le téléphone sonne. Inutile de filtrer, c’est McDermott, de nouveau.
— Alors.
— Alors Hamlin n’a d’entrées nulle part, et il veut inviter Luis Carruthers, et ce que j’aimerais bien savoir, c’est si cela signifie que Courtney vient aussi.
— Luis ne peut pas venir.
— Pourquoi pas ?
— Il ne peut pas, c’est tout. Pourquoi Luis veut-il venir ?
Un silence. « Ne quitte pas, dit McDermott. Je l’ai sur l’autre ligne, je vais le lui demander.
— Qui ? (vague de panique) Luis ?
— Hamlin.
Le téléphone toujours à l’oreille, je vais dans la cuisine et prends une bouteille de Perrier dans le réfrigérateur. Je suis en train de chercher un verre quand j’entends un déclic dans l’écouteur.
— Écoute, dis-je quand McDermott est de nouveau en ligne, je ne veux voir ni Luis, ni Courtney, alors, tu vois, débrouille-toi pour les persuader de ne pas venir, trouve quelque chose. Utilise ton charme. Tu sais, ton charme.
— Hamlin doit dîner avec un client du Texas, et...
— Attends, cela n’a rien à voir avec Luis. Hamlin peut bien sortir son pédé de client tout seul.
— Il veut que Carruthers soit là, parce qu’il est censé s’occuper du dossier Panasonic, mais Carruthers en sait beaucoup plus que lui sur le sujet. Voilà pourquoi il veut qu’il vienne.
Je reste un instant silencieux, considérant la situation.
— Si Luis vient, je le tue, dis-je enfin. Je le jure devant Dieu, je le tue, je le massacre.
— Mince, Bateman, murmure McDermott, troublé. Quel amour de son prochain. Vraiment, tu es un sage.
— Non. Simplement... Je m’interromps, désarçonné, furieux. « Je suis juste... sensé. »
— Ce que je voudrais savoir, c’est si cela veut dire que Courtney vient aussi, répète-t-il.
— Dis à Hamlin d’inviter... Oh, merde, je n’en sais rien. Dis à Hamlin de dîner tout seul avec son mec du Texas. Je m’interromps, pensant soudain à quelque chose. « Une minute. Est-ce que cela signifie que Hamlin... nous invite ? Je veux dire, qu’il compte payer pour nous, puisque c’est un dîner d’affaires ? »
— Tu sais, quelquefois, je me dis que tu es drôlement malin, Bateman, déclare McDermott D’autres fois, évidemment...
— Oh, merde, qu’est-ce que je raconte ? fais-je à voix haute, consterné. Nous pourrions très bien faire un dîner d’affaires, toi et moi. Bon Dieu. Je n’y vais pas. Voilà. Je n’y vais pas.
— Même si Luis ne vient pas ?
— Non. Négatif.
— Mais pourquoi ? gémit-il. Puisque nous avons réservé au 1500.
— Je... je dois... Il faut que je regarde le Cosby Show.
— Oh, enregistre-le, pour l’amour de Dieu, espèce de gland.
— Une seconde. (Je viens de penser à autre chose.) Crois-tu que Hamlin aura... un silence gêné... un peu de dope, peut-être... pour son Texan ?
— Et à quoi pense Bateman, exactement ? demande McDermott, le trou du cul patenté.
— Mmmmmm. Je pense. Je pense à ce que je t’ai dit.
— Ding-ding, votre temps est écoulé, fait McDermott d’une voix chantante, au bout d’un moment. Bon, on n’avance pas. Évidemment, Hamlin en aura.
— Appelle-le, passe-le en conversation à trois, fais-je en bredouillant, consultant ma Rolex. Magne. On peut peut-être le convaincre de venir au 1500.
— D’accord. Ne quitte pas.
J’entends quatre déclics, puis la voix de Hamlin :
— Bateman, est-ce qu’on peut porter des chaussettes à losanges avec un costume de ville ? — ce qui se veut une plaisanterie, mais ne m’amuse pas.
— Pas vraiment, Hamlin, réponds-je avec impatience, soupirant intérieurement, les paupières serrées. Trop sport. Ça jure avec un costume de ville. Tu peux en porter avec un costume sport. Du tweed, des trucs comme ça. Bien, alors ?
— Oui ? Merci, ajoute-t-il.
— Luis ne peut pas venir, dis-je. Et de rien, au fait.
— No ‘blème. Le Texan ne vient pas non plus, de toute façon.
— Et pourquoi ?
— Eh, les gars, si on allait tous voir See Bee Jee Bees, hein, paraît que c’est genre New Wave. Tout un monde, ce type, explique Hamlin. On n’a pas encore l’aval financier, pour le Texan. Pas avant lundi. Il a fallu que je trouve rapidement un alibi, assez lourd, je dois dire, pour expliquer mon changement de programme. Un père malade. Un feu de forêt. Une excuse valable, quoi.
— Et en quoi cela nous débarrasse-t-il de Luis ? fais-je, soupçonneux.
— C’est Luis qui dîne avec le Texan, ce soir. Ça m’ôte une belle épine du pied. Et moi, je le vois lundi, chez Smith et Wollensky, dit Hamlin, très content de lui. Donc, tout baigne.
— Attends, fait McDermott d’une voix hésitante, est-ce que cela signifie que Courtney ne vient pas ?
— Nous allons manquer nos réservations au 1500, si ce n’est déjà fait, fais-je remarquer. En plus, tu y es allé hier soir, Hamlin, mmmm ?
— Ouais. Leur carpaccio est passable. Le roitelet est correct. Les sorbets, ça va. Mais allons plutôt ailleurs, et après, nous, euh, partirons à la chasse à la créature, hein ? Qu’en dites-vous, Messieurs ?
— Pas mal, dis-je, amusé de voir que, pour une fois, Hamlin a trouvé le bon plan. Mais que va en dire Cindy ?
— Cindy a une soirée de charité au Plaza, un truc comme ça...
— Au Trump Plaza, fais-je remarquer d’une voix absente, tout en ouvrant enfin la bouteille de Perrier.
— Ouais, au Trump Plaza. Une histoire d’arbres, à côté de la bibliothèque. De l’argent pour des arbres, ou des buissons quelconques, dit-il, incertain. Des plantes, peut-être. Ça me dépasse, ce genre de truc.
— Bon, on va où ? demande McDermott.
— Qui annule le 1500, déjà ? fais-je.
— Vas-y, dit McDermott.
— Non, toi, fais-le, dis-je d’une voix geignarde.
— Attendez, dit Hamlin. Il faut d’abord décider où l’on va.
— Objection retenue, fait McDermott d’un ton solennel.
— Il est absolument hors de question pour moi d’aller où que ce soit ailleurs que dans l’Upper West ou dans l’Upper East Side, dis-je.
— Au Bellini’s ? suggère Hamlin.
— Négatif. On ne peut pas fumer le cigare, là-bas, répondons McDermott et moi, d’une même voix.
— Bon, on le raye, dit Hamlin. Au Gandango ?
— Ah, possible, possible, fais-je à mi-voix, réfléchissant. Trump y va.
— Au Zeus Bar ? fait l’un d’eux.
— Téléphone pour réserver, répond l’autre.
— Attendez, dis-je. Je réfléchis.
— Batemaaaaan... fait Hamlin, menaçant.
— Je pèse le pour et le contre, dis-je.
— Bateman...
— Attends, laisse-moi peser une minute.
— Je suis vraiment trop énervé pour supporter ça maintenant, déclare McDermott.
— Et si on laissait tomber toutes ces conneries, si on se tapait tout simplement un Jap ? suggère Hamlin. Et après, on irait chasser la créature de rêve.
— Ça n’est pas une mauvaise idée, en fait, dis-je avec un haussement d’épaules. Plutôt bon plan.
— Qu’est-ce que tu veux faire, toi, Bateman ? s’enquiert McDermott.
— Je veux... dis-je, réfléchissant, à mille lieues de là.
— Oui... ? font-ils simultanément, attendant ma réponse.
— Je veux... réduire le visage d’une femme en bouillie, avec une grosse brique bien lourde.
— Mais à part ça ? demande Hamlin, gémissant d’impatience.
— Bon, très bien, dis-je, me reprenant. Au Zeus Bar.
— Tu en es sûr ? C’est bien vrai ? Le Zeus Bar ? fait Hamlin, plein d’espoir.
— Écoutez, les gars, je commence à n’en plus pouvoir, déclare McDermott. Bon, au Zeus Bar. Point à la ligne.
— Ne quittez pas, dit Hamlin. Je vais téléphoner pour réserver. Il coupe la communication. McDermott et moi restons en attente, Un long silence s’installe.
— Tu sais, dis-je enfin, ça risque fort d’être impossible de réserver là-bas.
— On devrait peut-être aller au M.K. Ça plairait sans doute au Texan.
— Mais McDermott, le Texan ne vient pas, fais-je remarquer.
— De toute façon, je ne peux pas aller au M.K., dit-il sans écouter, et sans donner de raison.
— Ça te regarde, je ne veux pas savoir pourquoi.
Deux minutes encore s’écoulent Nous attendons Hamlin.
— Mais qu’est-ce qu’il fout ? fais-je, juste comme résonne la tonalité d’attente de mon téléphone.
McDermott aussi l’a entendue. « Tu prends l’appel ? » demande-t-il.
Je réfléchis. De nouveau, la tonalité se fait entendre. Gémissant, je dis à McDermott de ne pas quitter. C’est Jeanette. Elle a l’air fatiguée, déprimée. Ne souhaitant pas reprendre l’autre ligne pour l’instant, je lui demande ce qu’elle a fait hier soir.
— Après que tu ne sois pas venu au rendez-vous ? demande-t-elle.
— Euh... Ouais.
— Nous avons fini au Palladium. Un désert. Ils laissaient entrer les gens gratuitement (Un soupir.) On a vu peut-être trois, quatre personnes.
— Que vous connaissiez ? fais-je, plein d’espoir.
— Non. Dans tout le club, fait-elle avec amertume.
— Je suis navré, dis-je enfin. J’ai dû... J’avais des cassettes vidéo à rapporter... Tu sais, j’aurais vraiment aimé pouvoir te retrouver, dis-je, comme elle reste silencieuse.
— Je n’ai plus envie d’entendre parler de ça, fait-elle, me coupant la parole. Qu’est-ce que tu fais, ce soir ?
Je reste un instant silencieux, réfléchissant, avant d’avouer : « Je vais au Zeus Bar, à neuf heures. Avec Hamlin. » Puis, sans grande conviction : Tu veux nous retrouver là-bas ?
— Je ne sais pas, soupire-t-elle. Ça te dirait ? demande-t-elle d’une voix dure.
— Es-tu absolument obligée de prendre des airs de martyr ? fais-je.
Elle me raccroche au nez. Je reprends l’autre ligne.
— Bateman, Bateman, Bateman, fait sans cesse Hamlin, d’une voix monocorde.
— Je suis là. Tu peux la boucler.
— On continue à perdre du temps ? demande McDermott. Bon, on décide quelque chose.
— Moi, j’ai décidé que je ferais bien un petit golf, dis-je. Cela fait longtemps que je n’ai pas tenu une canne.
— Ta canne, tu te la mets quelque part, Bateman, dit Hamlin. Nous avons une réservation au Kaktus pour neuf heures...
— Et une autre à annuler au 1500 dans, mmmmm, voyons... il y a vingt minutes de cela, Bateman, dit McDermott.
— Oh, merde, Craig, Vas-y, annule-la, tout de suite, dis-je d’un ton las.
— Dieu, que je hais le golf, déclare Hamlin, frissonnant.
— Toi, annule-la, fait McDermott en riant.
— Elle est à quel nom ? m’enquiers-je, élevant le ton, sans plaisanter.
Une pause. « Carruthers », répond enfin McDermott d’une voix faible.
Hamlin et moi éclatons de rire.
— Vraiment ? fais-je.
— Il n’y avait pas de place au Zeus Bar, dit Hamlin. Alors, ce sera le Kaktus.
— Chouette, fais-je, abattu. Enfin, j’imagine.
— Allez, remets-toi, glousse Hamlin.
De nouveau, résonne ma tonalité d’attente, et avant même que je sache si je vais prendre l’appel ou non, Hamlin prend la décision à ma place, déclarant : Bon, écoutez, les gars, si vous ne voulez pas aller au Kaktus...
— Attendez, j’ai un appel, dis-je. Ne quittez pas.
C’est Jeanette, en larmes. « Tu es vraiment capable de tout, sanglote-t-elle. Dis-moi, y a-t-il une seule chose dont tu ne sois pas capable ? »
— Jeanette, mon bébé, fais-je d’une voix apaisante, écoute, je t’en prie. Nous serons au Zeus Bar à dix heures. D’accord ?
— Patrick, je t’en prie, fait-elle, implorante. Ça va. Je voudrais juste parler…
— On se voit à neuf heures, dix heures, quand tu voudras. Il faut que je te laisse, J’ai Hamlin et McDermott sur l’autre ligne.
— D’accord. Elle renifle, s’éclaircit la gorge, reprend contenance, « On se voit là-bas, Je suis vraiment déso... »
Je repasse sur l’autre ligne. Il n’y a plus que McDermott.
— Où est passé Hamlin ?
— Il a raccroché. Il nous retrouve à neuf heures.
— Super, fais-je entre mes dents. Content que ce soit résolu.
— Qui était-ce ?
— Jeanette.
Un léger déclic, puis un autre.
— C’est chez toi, ou chez moi ? demande McDermott.
— Chez toi, je crois.
— Ne quitte pas.
J’attends, arpentant la cuisine avec impatience. La voix de McDermott, de nouveau.
— C’est Van Patten, dit-il. Je le passe en conversation à trois. Clic-clic-clic-clic.
— Salut, Bateman, s’écrie Van Patten. Salut, mon pote.
— Ciel, Mr. Manhattan, fais-je. Je reconnais votre voix.
— Dis donc, comment porte-t-on une ceinture de smoking ?
— J’ai déjà répondu deux fois à cette question, aujourd’hui, fais-je, agressif.
Tous deux commencent à discuter pour savoir si Van Patten aura ou n’aura pas le temps d’être au Kaktus pour neuf heures et, cessant de prêter attention aux voix qui résonnent dans le téléphone sans fil, je commence à observer, avec un intérêt croissant, le rat que j’ai acheté — j’ai toujours le mutant qui a surgi de la cuvette des toilettes —, dans sa cage de verre toute neuve posée sur la table de la cuisine, coincé au milieu du circuit Habitrail, essayant de hisser son corps rongé par l’acide, pour atteindre le petit abreuvoir que j’ai rempli ce matin d’eau d’Évian empoisonnée. La scène est trop pitoyable, ou pas assez. J’ai du mal à savoir. La tonalité d’attente me tire de cette rêverie imbécile, et je dis à Van Patten et à McDermott de ne pas quitter.
Je passe sur l’autre ligne, fais une pause, et annonce : Vous êtes bien au domicile de Patrick Bateman. Veuillez laisser un message après...
— Oh, pour l’amour de Dieu, Patrick, grandis un peu, gémit Evelyn. Arrête avec ce genre de truc. Pourquoi t’obstines-tu à faire ça ? Tu crois vraiment que ça mène quelque part ?
— Quelque part ? fais-je d’une voix innocente. A me protéger, peut-être ?
— A me torturer, oui, dit-elle, boudeuse.
— Ma chérie.
— Oui ? renifle-t-elle.
— Tu ne sais pas ce qu’est la torture. Tu ne sais pas de quoi tu parles. Vraiment, tu ne sais pas de quoi tu parles.
— Je n’ai pas envie de parler de ça. C’est fini. Bien, qu’est-ce que tu fais pour dîner, ce soir ? (Sa voix se fait plus douce.) Je me disais qu’on pourrait peut-être dîner au TDK, vers, oh, neuf heures, genre ?
— Ce soir, je dîne au Harvard Club, seul.
— Oh, ne sois pas idiot. Je sais bien que tu dînes au Kaktus avec Hamlin et McDermott.
— Et comment sais-tu cela ? fais-je, me moquant d’avoir été surpris en flagrant délit de mensonge. De toute façon, c’est au Zeus, pas au Kaktus.
— Je le sais parce que je viens de parler à Cindy.
— Je croyais que Cindy devait aller à cette soirée de charité pour des plantes ou des arbres.
— Non non non, fait Evelyn. C’est la semaine prochaine. Tu as envie d’y assister ?
— Ne quitte pas.
Je reviens en ligne avec Craig et Van Patten.
— Bateman ? fait Van Patten. Mais qu’est-ce que tu fous ?
— Comment Cindy sait-elle que nous dînons au Kaktus ? fais-je.
— C’est peut-être Hamlin qui le lui a dit ? suggère McDermott. Je ne sais pas. Pourquoi ?
— Parce que maintenant, Evelyn est au courant, dis-je.
— Mais quand ce putain de Wolfgang Puck va-t-il se décider à ouvrir un restaurant dans cette putain de ville ? nous demande Van Patten.
— Van Patten a attaqué son troisième pack de Foster’s, ou il en est encore au premier ? fais-je à l’adresse de McDermott.
— En fait, la question, c’est de savoir si on accepte les femmes ou pas. C’est bien ça ? demande McDermott.
— Tout cela est en train de tourner en eau de boudin, à la vitesse grand V, C’est tout ce que j’ai à dire.
— Est-ce qu’on invite Evelyn ? demande McDermott. C’est ça que tu voudrais savoir ?
— Non, on n’invite pas Evelyn.
— Ah bon, parce que je voulais venir avec Elizabeth, dit Van Patten d’une voix timide (ou pseudo-timide).
— Non. Pas de bonnes femmes, dis-je.
— Quel est le problème, avec Elizabeth ? demande Van Patten.
— Ouais, quel est le problème ? fait McDermott en écho.
— Elle est idiote. Non, elle est intelligente. J’en sais rien. Ne l’invite pas.
Un silence, puis la voix de Van Patten : Je sens que ça devient très bizarre, tout cela.
— Bon, si on n’invite pas Elizabeth, pourquoi pas Sylvia Josephs ? suggère McDermott.
— Naaahhh, trop vieille, plus bonne à baiser, déclare Van Patten.
— Pfffff, mais elle a vingt-trois ans, dit McDermott.
— Vingt-huit, fais-je.
— Vraiment ? dit McDermott, troublé, après un silence.
— Oui, dis-je. Vraiment.
— Oh, fait McDermott. C’est tout ce qu’il lui reste à dire.
— Et merde, j’avais oublié, fais-je, me frappant le front. J’ai invité Jeanette,
— Ah, voilà le genre de créature que j’inviterais volontiers, moi aussi, déclare Van Patten d’une voix égrillarde.
— Mais qu’est-ce qu’une nana jeune, mignonne, comme Jeanette, fait avec un type comme toi ? demande McDermott. Pourquoi supporte-t-elle un type comme toi, Bateman ?
— Je la couvre de cashmere. Je ne lésine pas sur le cashmere, dis-je à mi-voix. Il faut que je la rappelle pour lui dire de ne pas venir.
— Tu n’oublies pas quelque chose ? demande McDermott.
— Quoi ? fais-je, perdu dans mes pensées.
— Genre, Evelyn sur l’autre ligne ?
— Oh, merde. Ne quittez pas.
— Je me demande pourquoi je perds mon temps avec tout ça, entends-je soupirer McDermott.
— Amène Evelyn ! me crie Van Patten. Après tout, c’est une nana. Dis-lui de nous retrouver au Zeus Bar à neuf heures et demie !
— D’accord, d’accord, fais-je, avant de passer sur l’autre ligne.
— Je n’apprécie pas du tout cela, Patrick, dit Evelyn.
— Bon, on se retrouve au Zeus Bar, à neuf heures et demie ?
— Je peux venir avec Stash et Vanden ? demande-t-elle ingénument.
— Vanden, c’est la fille avec un tatouage ? m’enquiers-je, tout aussi ingénument.
— Non, soupire-t-elle. Elle n’a pas de tatouage.
— À dégager, à dégager.
— Oh, Patrick, gémit-elle.
— Écoute, tu as déjà de la chance d’être invitée, alors ne va pas... ma voix s’éteint, Un silence, plutôt agréable.
— Allez, on se retrouve là-bas, dis-je. Je suis désolé.
— Ça va, ça va, dit-elle, résignée. À neuf heures et demie.
Je repasse sur l’autre ligne, interrompant Van Patten et McDermott, qui sont en train de débattre pour savoir s’il convient de porter un costume bleu de la même manière qu’un blazer bleu marine.
— Allô ? fais-je. Silence. Est-ce que tout le monde m’écoute, avec une totale attention !
— Mais oui, mais oui, soupire Van Patten d’une voix lasse.
— J’appelle Cindy, pour qu’elle persuade Evelyn de ne pas venir dîner avec nous.
— Mais bon Dieu, pourquoi as-tu invité Evelyn, alors ? demande l’un d’eux.
— C’est vrai, on plaisantait, espèce d’idiot, renchérit l’autre.
— Euh, c’est une bonne question, fais-je, balbutiant. Euh, ne, ne quittez pas.
Je compose le numéro de Cindy, que j’ai trouvé dans mon Rolodex. Elle filtre l’appel, puis répond.
— Salut, Patrick.
— Dis-moi, Cindy, j’ai un service à te demander.
— Hamlin ne dîne pas avec vous, les enfants, dit-elle. Il a essayé de vous rappeler, mais toutes vos lignes étaient occupées. Vous n’avez pas de ligne d’attente, chez vous ?
— Évidemment, qu’on en a. Tu nous prends pour quoi, pour des sauvages ?
— Hamlin ne vient pas, répète-t-elle d’une voix brève.
— Qu’est-ce qu’il fait ? Il graisse ses Top Siders ?
— Il sort avec moi, cher Mr. Bateman.
— Mais ton... euh... ta vente de charité ?
— Hamlin a confondu les dates.
— Gourde, fais-je.
— Oui ?
— Espèce de gourde, tu sors avec un trou du cul, dis-je avec suavité.
— Merci, Patrick, c’est gentil à toi.
— Espèce de gourde, tu sors avec la plus belle tête de nœud de New York.
— Tu ne m’apprends rien que je ne sache, bâille-t-elle.
— Pauvre gourde, tu sors avec une tête de nœud pourrie, pourrie.
— Sais-tu que Hamlin possède chez lui six postes de télé et sept magnétoscopes ?
— Est-ce qu’il se sert parfois de la machine à ramer que je lui ai donnée ? m’enquiers-je sérieusement.
— Elle est comme neuve, dit-elle. Jamais utilisée.
— Pauvre gourde, c’est une tête de nœud.
— Tu veux bien arrêter de me traiter de gourde ? fait-elle, agacée.
— Écoute, Cindy, si tu avais le choix entre lire Women’s Wear ou... Je m’interromps, ne sachant pas trop ce que je voulais dire. « Dis-moi, il y a un plan quelconque, ce soir ? Un plan pas trop... usant ? »
— Qu’est-ce que tu veux, Patrick ? soupire-t-elle.
— Juste un peu de paix, d’amour, d’amitié, de compréhension, dis-je d’une voix morne.
— Qu’est-ce-que-tu-veux ?
— Pourquoi ne viendriez-vous pas tous les deux ?
— Nous avons d’autres projets.
— Mais c’est Hamlin qui a fait ces putains de réservations, fais-je, scandalisé.
— Eh bien, vous n’avez qu’a en profiter, vous.
— Pourquoi ne veux-tu pas venir ? fais-je d’une voix lascive. Tu n’as qu’à déposer l’autre tête de nœud chez Juanita, un truc comme ça.
— Je crois que je vais me passer de dîner, dit-elle. Tu m’excuseras auprès des autres.
— Mais nous allons au Kaktus, euh, je veux dire au Zeus... Non, au Kaktus, fais-je, perdu.
— Vraiment, c’est là que vous allez ? fait-elle.
— Pourquoi ?
— N’importe qui d’un peu sensé te dira que ce n’est plus du tout un endroit où l’on peut dîner.
— Mais c’est Hamlin qui a fait ces putains de réservations !
— Là ? fait-elle, stupéfaite.
— Il y a des heures de cela !
— Bon, écoute, je suis en train de m’habiller.
— Je n’aime pas du tout, du tout cela, dis-je.
— Ne t’en fais pas, dit-elle, et elle raccroche.
Je reviens sur l’autre ligne.
— Écoute, Bateman, je sais que ça semble impossible, mais les choses se compliquent sérieusement, dit McDermott.
— Je ne suis pas d’accord pour un mexicain, déclare Van Patten.
— Attendez, il n’était pas question de mexicain, n’est-ce pas ? fais-je. Ou bien je n’ai rien compris ? Nous n’allons pas au Zeus Bar ?
— Non, crétin, crache McDermott, Il n’y avait pas de place au Zeus. C’est au Kaktus que nous allons. Au Kaktus, à neuf heures.
— Mais je n’ai pas envie de manger mexicain, répète Van Patten.
— Mais Van Patten, c’est toi-même qui as fait les réservations, gueule McDermott.
— Moi non plus, je n’ai pas envie, dis-je soudain. Pourquoi un mexicain ?
— Mais ça n’est pas un mexicain mexicain, dit McDermott, exaspéré. On appelle ça la nouvelle cuisine mexicaine, à base de tapas, ou de choses comme ça, la cuisine du Sud. Enfin, un truc dans ce genre. Ne quittez pas. J’ai un appel.
Il passe sur l’autre ligne, nous laissant seuls, Van Patten et moi.
— Bateman, soupire-t-il, je sens que mon euphorie est en train de retomber à toute vitesse.
— Qu’est-ce que tu veux dire ? fais-je, essayant de me rappeler où j’ai dit à Jeanette et à Evelyn de nous retrouver.
— Et si on réservait ailleurs ? suggère-t-il.
Je réfléchis. « Où ? » fais-je, soupçonneux.
— Au 1969, dit-il d’une voix tentatrice. Mmmmmm ? Au 1969 ?
— L’idée me plaît bien, dois-je admettre.
— Qu’est-ce qu’on fait ?
Je réfléchis. « Vas-y, réserve. Vite. »
— D’accord. Pour trois ? Cinq ? Combien ?
— Cinq ou six, je pense.
— Okay. Ne quitte pas.
À l’instant où il coupe, McDermott revient en ligne.
— Où est Van Patten ? s’enquiert-il.
— Il... Il est allé pisser.
— Pourquoi ne veux-tu pas aller au Kaktus ?
— Parce que je suis en pleine crise de panique existentielle, mens-je.
— Pour toi, c’est peut-être une raison valable, mais pas pour moi.
— Allo ? fait Van Patten, nous rejoignant. Bateman ?
— Alors ? fais-je. McDermott est revenu.
— Mmm-mmm. Zéro.
— Eh merde.
— Qu’est-ce qui se passe ? demande McDermott.
— Alors, les enfants, ça vous dit, un petit margarita ? demande Van Patten. Ou alors, pas de margarita ?
— Moi, un margarita, ça m’irait assez, dit McDermott.
— Bateman ?
— Je préférerais quelques bonnes bières, non mexicaines, si possible, dis-je.
— Oh, merde, encore un appel, dit McDermott. Ne quittez pas. Il disparaît.
Si je ne me trompe pas, il est à présent huit heures et demie.
Une heure plus tard. Nous sommes toujours en train de discuter. Nous avons annulé la réservation au Kaktus, mais peut-être l’un de nous l’a-t-il reconfirmée après. Perturbé, j’ai appelé le Zeus Bar pour annuler une réservation qui n’existait pas. Jeanette n’est plus chez elle, et je ne peux pas la joindre, car je n’ai pas la moindre idée du restaurant où elle est allée, pas plus que je ne me rappelle celui auquel j’ai dit à Evelyn de nous retrouver. Van Patten, qui entre-temps a pris deux grands verres d’Absolut, me parle du détective Kimball, me demandant de quoi nous avons discuté, et tout ce dont je me souvienne, en fait, c’est d’une vague histoire de gens qui disparaissent dans des crevasses.
— Et toi, tu as parlé avec lui ? m’enquiers-je.
— Ouais, ouais.
— Qu’est-ce qu’il t’a dit, à propos de Owen ?
— Il m’a dit qu’il avait disparu, qu’il s’était volatilisé, pouf, comme ça. (Je l’entends ouvrir la porte d’un réfrigérateur.) Aucune trace, rien. Les autorités restent le bec dans l’eau.
— Ouais, dis-je. Cette histoire me perturbe terriblement.
— Ben oui, Owen était... Je ne sais pas, dit-il. (J’entends le bruit d’une bière qu’on ouvre.)
— Que lui as-tu dit d’autre, Van Patten ?
— Oh, les trucs habituels, soupire-t-il. Qu’il portait des cravates jaunes et rouge-marron. Qu’il déjeunait au ‘21. Qu’en fait, il n’était pas arbitragiste, comme le pensait Kimball, mais spécialiste en fusions. Enfin, rien de très particulier. (Je l’entends presque hausser les épaules.)
— Et quoi d’autre ?
— Voyons... Qu’il ne portait pas de bretelles. Qu’il était fidèle aux ceintures. Qu’il avait arrêté la coke et la bière mexicaine. Enfin, tu sais bien, Bateman...
— C’était un crétin, dis-je. Et maintenant, il est à Londres.
— Mon Dieu, murmure-t-il, l’honnête homme se fait vraiment rare, de nos jours.
Retour de McDermott. « Bien. Où va-t-on, à présent ? »
— Quelle heure est-il ? demande Van Patten.
— Neuf heures et demie, répondons-nous d’une même voix.
— Attends, on en est où, avec le 1969 ? fais-je, m’adressant à Van Patten.
— Comment cela, le 1969 ? fait McDermott, qui ne comprend rien.
— Je ne me souviens pas, dis-je.
— Fermé. Pas de réservation, me rappelle Van Patten.
— On ne peut pas se rabattre sur le 1500 ?
— Maintenant, le 1500 est fermé, crie McDermott. Les cuisines sont fermées. Le restaurant est fermé. Terminé. On est obligés d’aller au Kaktus.
Silence sur la ligne.
— Allo ? Allo ? Vous êtes là, les gars ? braille-t-il, perdant pied.
— Quelle énergie, quelle vitalité, déclare Van Patten.
Je ris.
— Si ça vous amuse... fait McDermott.
— Bon, d’accord Et alors ? Qu’est-ce que tu comptes faire ? m’enquiers-je.
— Mes petits gars, j’avoue ressentir une certaine angoisse de l’échec, au niveau de la réservation d’une table avant, genre, minuit.
— Tu es sûr, pour le 1500 ?
— C’est une question oiseuse ! hurle McDermott. Pourquoi cela ? me diras-tu. Par-ce-qu’ils-sont-fermés. Et-parce-qu’ils-sont-fermés-ils-ne-prennent-plus-de-réservations ! Est-ce que tu me suis ?
— Hé, on se calme, ma puce, fait Van Patten, décontracté. Nous irons au Kaktus.
— Nous avons une table là-bas pour... il y a dix, non, quinze minutes, déclare McDermott.
— Mais je croyais l’avoir annulée, dis-je, reprenant un Xanax.
— J’ai reconfirmé, dit McDermott.
— Tu es irremplaçable, dis-je d’une voix monocorde.
— Moi, je peux y être pour dix heures, dit-il.
— Le temps que je passe au distributeur, je peux y être pour dix heures et quart, dit Van Patten, lentement, calculant le temps qu’il lui faudra.
— Est-ce que par hasard quelqu’un se rend compte que Jeanette et Evelyn doivent nous retrouver au Zeus Bar, alors que nous n’avons pas réservé ? Cela vous a-t-il traversé l’esprit une seconde ? fais-je, sans illusion.
— Mais le Zeus est fermé. Et de toute façon, nous avons téléphoné pour annuler une table que nous n’avions même pas réservée, dit McDermott, essayant de garder son calme.
— Mais je crois bien avoir dit à Jeanette et à Evelyn de nous retrouver là-bas, dis-je, les doigts sur les lèvres, horrifié.
Un silence. « Tu cherches les ennuis ? demande McDermott. Tu tiens absolument à te fourrer dans le pétrin, ou quoi ? »
— J’ai un appel, dis-je. Bon Dieu. Quelle heure est-il ? J’ai un appel.
— Ce doit être une des filles, déclare Van Patten avec allégresse.
— Ne quittez pas, dis-je, la voix rauque.
— Bonne chance, entends-je dire Van Patten, avant de couper.
— Bonjour, fais-je d’une petite voix, vous êtes bien au domi...
— C’est moi, crie Evelyn, presque inaudible dans le vacarme.
— Oh, salut, dis-je, l’air de rien. Qu’est-ce qui se passe ?
— Patrick, qu’est-ce que tu fais à la maison ?
— Mais où es-tu ? m’enquiers-je avec bonne humeur.
— Je-suis-au-Kaktus, siffle-t-elle.
— Mais qu’est-ce que tu fais là-bas ?
— Tu m’as dit qu’on s’y retrouvait, voilà ce que je fais là-bas. J’ai confirmé la réservation.
— Ô mon Dieu, je suis navré. J’ai oublié de te dire.
— Oublié-de-me-dire-quoi ?
— De te dire que nous ne... (J’avale ma salive)... que nous n’allons pas là, finalement. Je ferme les yeux.
— Et-qui-est-cette-Jeanette ? siffle-t-elle, très calme.
— Enfin, vous ne vous amusez pas ? fais-je, ignorant la question.
— Non-on-ne-s’amuse-pas.
— Pourquoi ? Nous arrivons... bientôt.
— Pourquoi ? Parce que cette situation semble plutôt... Je ne sais pas... déplacée, peut-être ? hurle-t-elle.
— Écoute, je te rappelle tout de suite, dis-je, prêt à faire semblant de noter le numéro.
— Tu ne pourras pas, dit Evelyn d’une voix basse, tendue.
— Pourquoi ? La grève du téléphone est terminée, dis-je, essayant de plaisanter.
— Parce-que-Jeanette-est-derrière-moi-et-va-s’en-servir.
Long, très long silence de ma part.
— Patrick ?
— Evelyn. Ne t’énerve pas. Je pars tout de suite. Nous serons tous là dans très peu de temps. C’est promis.
— Oh, mon Dieu...
Je repasse sur l’autre ligne.
— Les gars, quelqu’un a merdé. Moi, j’ai merdé. Ou vous. Je ne sais pas, dis-je, en proie à la panique.
— Qu’est-ce qui ne va pas ? demande l’un d’eux.
— Jeanette et Evelyn sont au Kaktus.
— Ça n’est pas vrai... Van Patten hurle de rire.
— Vous savez, les gars, je suis parfaitement capable d’enfoncer à coups répétés un tuyau de plomb dans un vagin, leur dis-je, ajoutant, après un silence que je crois dû à une prise de conscience aiguë et soudaine de ma profonde cruauté : Mais je ne le ferais pas sans compassion.
— Nous savons tout de ton tuyau de plomb, Bateman, fait McDermott. Arrête de te vanter.
— Il est en train de nous expliquer qu’il a une grosse queue, ou quoi ? demande Van Patten à Craig.
— Bah, je ne sais pas trop, répond McDermott. C’est ce que tu essaies de nous dire, Bateman ?
J’hésite avant de répondre. « C’est... enfin, non, pas exactement. » J’entends résonner la tonalité d’attente de mon autre ligne.
— Parfait, je peux enfin être officiellement jaloux, fait McDermott, plein d’esprit. Bon, on va où ? La vache, quelle heure est-il ?
— Ça n’a pas grande importance. De toute façon, j’ai la tête complètement engourdie, dis-je, affamé, mangeant des céréales — son et avoine — à même la boîte. De nouveau, la tonalité d’attente.
— On peut peut-être trouver de la dope.
— Appelle Hamlin.
— Mais enfin, dans cette ville, on ne peut pas entrer dans un lavabo sans en sortir avec un gramme, alors pas de panique.
— Vous avez entendu parler du contrat Bell South ?
— Demain matin, il y a Spuds McKenzie, au Patty Winters Show.
UNE FILLE
Un vendredi soir. Autre fille, rencontrée au M.K., que je projette de torturer et de filmer. Celle-ci restera anonyme. Elle est assise sur le divan, dans mon salon. Une bouteille de Champagne à moitié vide, du Cristal, est posée sur la table de verre. Je presse les touches du Wurlitzer, et il s’éclaire, des numéros s’allument. « Quelle est cette... cette odeur ? » demande-t-elle enfin, et je réponds : « Un rat... un rat crevé », avant d’ouvrir les fenêtres et la porte vitrée qui donne sur la terrasse, bien que la nuit soit fraîche (nous sommes à la mi-automne) et qu’elle soit vêtue trop légèrement. Elle prend un autre verre de Cristal, ce qui semble la réchauffer un peu, assez pour qu’elle parvienne à me demander comment je gagne ma vie. Je lui dis que je suis allé à Harvard, puis que j’ai commencé à travailler chez Pierce & Pierce, après avoir obtenu mon diplôme de Commerce et, quand elle demande, soit perplexe, soit pour plaisanter, « Pierce & Pierce ? », j’avale ma salive et, lui tournant le dos, redressant le nouveau Onica, trouve la force de répondre : « Un magasin de chaussures. » J’ai pris une ligne de coke, que j’ai trouvée dans mon armoire à pharmacie en rentrant, tout à l’heure, et le Cristal en atténue un peu l’effet, mais à peine. Ce matin, le Patty Winters Show était consacré à une machine qui permet de communiquer avec les morts. La fille porte un ensemble de laine, un chemisier en crêpe georgette, des boucles d’oreilles Stephen Dweck en agate et ivoire et un gilet de soie jacquard, le tout... mmmmm. Charivari, je pense.
Dans la chambre. Nue, le corps huilé, elle me suce la queue, tandis que je me tiens debout devant elle, puis je me mets à la gifler avec, la tenant par les cheveux et la traitant d’« ordure de pute », ce qui semble l’exciter plus encore, et tout en me suçant vaguement, elle commence à se doigter le clito, avant de me lécher les couilles, me demandant : « Tu aimes ça ? », ce à quoi je réponds « Ouais, ouais », haletant. Elle a les seins haut placés, épanouis, fermes, les mamelons bien raides, et tandis qu’elle s’étouffe sur ma queue, que je lui fourre brutalement dans la bouche, je me penche pour les presser dans mes mains puis, tout en la baisant, après lui avoir enfoncé dans le cul un godemiché que j’ai attaché avec une courroie, je commence à les lui griffer, et elle me demande d’arrêter. En début de soirée, j’étais avec Jeanette dans un nouveau restaurant piémontais extrêmement cher de l’Upper East Side, non loin de Central Park. En milieu de soirée, je portais un costume Edward Sexton, et pensais tristement à notre maison de famille de Newport. Au début de la nuit, après avoir déposé Jeanette, je m’arrêtais au M.K., où se tenait une soirée de souscription, plus ou moins liée à Dan Quayle, que même moi je n’aime pas. Au M.K., la fille que je suis en train de baiser m’a sauté dessus, carrément, sur un canapé du premier étage où j’attendais pour jouer au billard. « Oh, mon Dieu », dit-elle. Excité, je la gifle, puis lui donne un petit coup de poing sur la bouche, puis l’embrasse, lui mordant les lèvres. La peur l’envahit, la terreur, l’incompréhension. La courroie se casse et le godemiché s’échappe de son cul tandis qu’elle tente de me repousser. Je roule sur le lit, faisant semblant de la laisser filer puis, tandis qu’elle ramasse ses vêtements, en maugréant, me traitant de « pauvre cinglé », je bondis sur elle, tel un chacal, l’écume aux lèvres. Elle se met à pleurer, sanglotant des excuses, hystérique, me suppliant de ne pas lui faire de mal, ruisselante de larmes et couvrant ses seins d’une main pudique. Mais ses sanglots eux-mêmes ne parviennent pas à m’exciter. Je n’éprouve pas grand plaisir à l’asperger de gaz asphyxiant, et moins encore lorsque je l’assomme en lui frappant la tête contre le mur à cinq ou six reprises, y laissant une petite tache où quelques cheveux restent collés. Elle tombe à terre, inconsciente, et je me dirige vers la salle de bains pour prendre une nouvelle ligne de coke, celle que j’ai achetée l’autre soir au Nell’s ou au Bar, et qui se révèle médiocre. J’entends un téléphone sonner, un répondeur qui se déclenche. Je me penche vers le miroir, ignorant le message, négligeant même de vérifier de qui il s’agit.
Plus tard. Comme il se doit, elle est au sol, nue, sur le dos, les mains et les pieds attachés à des piliers de fortune fixés sur des planches retenues par des poids. Ses mains sont criblées de clous, ses cuisses écartées au maximum. Son cul est appuyé sur un coussin, et elle a du fromage, du brie, beurré sur son vagin ouvert, et même à l’intérieur. Elle vient à peine de reprendre ses esprits et, en me voyant, debout au-dessus d’elle, virtuellement inhumain, j’imagine bien quel sentiment d’horreur inconcevable elle doit ressentir. J’ai installé le corps devant le nouveau récepteur de télé Toshiba, mis une vieille cassette dans le magnétoscope, et l’on voit sur l’écran le dernier film que j’aie tourné. Je porte un costume Joseph Abboud, une cravate Paul Stuart, des chaussures J. Crew, un gilet italien, je ne sais plus de qui, et je suis à genoux sur le sol à côté d’un cadavre, en train de manger goulûment le cerveau de la fille, étalant de la moutarde Grey-Poupon sur de gros morceaux de viande rose et charnue.
— Tu vois ? fais-je, chuchotant à l’oreille de la fille (pas celle qui est sur l’écran, l’autre). Tu vois ça ? Tu regardes bien ?
Je prends la perceuse électrique, essayant de la lui enfoncer dans la bouche, mais elle est encore trop consciente et trouve la force de serrer les dents, de bloquer les mâchoires et, bien que la mèche traverse rapidement ses dents, cela ne parvient pas à me captiver et, lui soutenant la tête, le sang ruisselant de sa bouche, je la force à regarder le reste de la cassette. Et tandis que, sur l’écran, la fille saigne par tous les trous imaginables, j’espère qu’elle se rend compte que cela devait lui arriver de toute façon. Qu’elle devait finir ici, allongée par terre, dans mon appartement, les mains clouées à des poteaux, le con rempli de fromage et de bouts de verre, la tête fracassée et couverte de sang, quelque autre choix eût-elle fait ; que si elle était allée au Nell’s, ou à l’Indochine, ou au Mars, ou au Bar, au lieu du M.K., si simplement elle n’avait pas pris ce taxi avec moi jusqu’à l’Upper West Side, tout ceci lui serait néanmoins arrivé. Je l’aurais trouvée. C’est ainsi que tourne le monde. Je décide de laisser tomber la caméra, pour ce soir.
J’essaye de lui fourrer dans le vagin un des tubes de plastique du circuit Habitrail, que j’ai démonté, écartant les lèvres de son sexe autour de l’embout et, bien que je l’aie généreusement enduit d’huile d’olive, j’ai des difficultés à l’assujettir correctement. Le juke-box diffuse The Worst That Could Happen, par Frankie Valli, et je fais claquer mes lèvres en mesure, avec un sourire sardonique, tout en enfonçant le tube transparent dans le con de cette salope. Je dois finalement me résoudre à lui verser un peu d’acide sur la chatte, de manière à ce que la chair laisse pénétrer l’embout lubrifié du tube, et bientôt il glisse à l’intérieur, sans difficulté. « J’espère que ça fait mal », dis-je.
Le rat se jette contre la cage de verre, tandis que je le transporte de la cuisine au salon. Il a refusé de manger ce qui restait de l’autre rat, celui que j’avais acheté la semaine dernière, pour jouer avec, et qui pourrit dans un coin de la cage. Depuis cinq jours, je l’affame, à dessein. Je dépose la cage de verre à côté de la fille et, à cause de l’odeur du fromage, peut-être, le rat semble soudain pris de folie, tournant en rond à toute vitesse, piaillant, avant de tenter de se hisser, affaibli par la faim, par-dessus le bord de la cage. Je n’ai guère besoin de l’aiguillonner, et le cintre que je comptais utiliser demeure posé à côté de moi. Animé d’une énergie nouvelle (la fille est toujours consciente), il se précipite dans le tube, son corps disparaissant à moitié et, au bout d’une minute — je vois son corps de rat agité de petites secousses, tandis qu’il mange — il disparaît complètement, à part la queue, et je retire brutalement le tube, piégeant l’animal. La fille émet des sons à peu près incompréhensibles.
Déjà, je sens que cette mort, une fois de plus, sera vaine, absurde, mais je suis habitué à l’horreur. L’horreur est comme distillée, même en cet instant, elle ne parvient pas à me bouleverser, à me troubler. Bon, je ne vais pas me lamenter et, afin de me le prouver, après avoir regardé pendant une minute ou deux le rat qui bouge sous le bas-ventre de la fille, et m’être assuré qu’elle était toujours consciente — elle secoue la tête de douleur, les yeux agrandis de terreur et d’incompréhension —, je prends une tronçonneuse et la coupe en deux, en quelques secondes. Les dents vrombissantes traversent la peau et les muscles et les tendons et les os, si vite qu’elle demeure vivante assez longtemps pour me voir lui séparer les jambes du corps — arrachant les cuisses de ce qui reste de son vagin mutilé — et les brandir devant moi, presque comme des trophées, crachant le sang. Ses yeux demeurent encore ouverts une minute, hagards, éperdus, puis se ferment et, avant qu’elle ne meure, je lui enfonce une lame de couteau dans le nez, gratuitement, jusqu’à ce qu’elle ressorte par le front, déchirant les chairs, puis lui coupe tout le menton. Il ne lui reste plus qu’une demi-bouche, que je baise une fois, deux fois, trois fois en tout. Me souciant peu de vérifier si elle respire encore ou non, je lui arrache les yeux, avec les doigts. La tête du rat émerge — il a réussi à se retourner à l’intérieur —, couverte de sang rouge sombre (je remarque aussi que la tronçonneuse lui a coupé la queue à peu près au milieu), et je lui redonne un peu de brie, avant de devoir enfin, je le sens, le tuer à coups de pied, ce que je fais. Un peu plus tard, le fémur, ainsi que la mâchoire gauche de la fille, sont dans le four, en train de cuire. J’ai rempli un cendrier de cristal Steuben de touffes de poils pubiens et, lorsque j’y mets le feu, ils brûlent très rapidement.